Partager
Temps de lecture
4 minutes
J’ai lu le livre Notre agriculture à la dérive écrit par Guy Debailleul, Suzanne Dion et Michel Saint-Pierre. Dédié à Jean Pronovost, qui a présidé la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois en 2008, l’ouvrage est essentiellement une réédition du rapport de cette commission. On y reprend les mêmes arguments, les mêmes clichés et les solutions proposées par les auteurs sont vagues.
Si on se rapporte à cette époque, l’agriculture québécoise traversait une période difficile. Dans la foulée des négociations de l’OMC et plus précisément du cycle de DOHA, on craignait pour l’avenir de la gestion de l’offre. Les prix des céréales étaient très bas, la production de porcs était critiquée, le dossier environnemental s’imposait de plus en plus et le déficit du programme ASRA inquiétait le gouvernement les producteurs. Ça n’allait pas très bien!
Pour les auteurs le grand responsable des problèmes en agriculture au Québec, c’est l’Union des producteurs agricoles. (UPA) En ce sens, l’ouvrage fait davantage office de pamphlet, reprenant les propos de l’Union paysane et du journal La vie agricole.
Certaines affirmations sont simplement erronées et révèlent le biais des auteurs pour tenter de démontrer leurs points de vue. Les auteurs accusent, comme à l’époque, les producteurs d’être déconnectés des signaux des marchés et de prendre leurs décisions uniquement en fonction du programme de stabilisation des revenus agricoles (ASRA). On se souvient des sorties de Michel Saint-Pierre en 2009, dans un rapport qui portait son nom. Il avait été encore plus condescendant, accusant même les producteurs d’attendre leur chèque d’ASRA près de leur boîte aux lettres.
Les choses ont changé depuis. Les producteurs de pommes de terre, de pommes, de maïs, de soya et de veau de lait ont quitté le programme ASRA. Les grands troupeaux, quant à eux, doivent maintenant payer une surprime pour être assurés. Mais cela n’est pas mentionné dans l’ouvrage.
Selon les auteurs, nous produisons du soya et du maïs au Québec essentiellement pour nourrir des cochons que l’on exporte. La production de cochons (j’utilise ce terme, car c’est ce que font les auteurs — il faut lire « L’ode au roi cochon » à la page 91 pour prendre la mesure du mépris des auteurs envers cette production) serait la raison pour laquelle nous cultivons du maïs et du soya au Québec.
Voyons les faits. Environ 40% du maïs produit au Québec va à l’alimentation du porc. Le reste va à l’alimentation des autres secteurs d’élevage (40%) et à la production d’éthanol (20%). La production de porc a donc une influence limitée sur la production de maïs au Québec. Ce sont plutôt les rendements financiers à l’hectare du maïs et du soya qui déterminent ce choix et les plans de culture des producteurs de grains. Le prix des céréales est nord-américain et déterminé à la bourse de Chicago. Évidemment, les producteurs de porcs du Québec n’influencent en rien le prix du maïs à la bourse de Chicago!
Par ailleurs, le soya a même détrôné le maïs au cours des dernières années. En 2023, 405 300 hectares de soya ont été ensemencés comparativement à 363 500 hectares pour le maïs. Près d’un million de tonnes de soya ont été exportées en 2023, soit 75% de la récolte, incluant le soya non-OGM produit pour la consommation humaine. Les productions de blé, d’avoine et d’orge bien qu’elles soient admissibles à l’ASRA, sont pour l’instant, moins profitables à l’hectare et, conséquemment, les ensemencements sont en baisse. Ainsi, prétendre que les producteurs ne captent pas les signaux du marché est erroné et toujours aussi méprisant.
D’autre part, le deuxième exemple de dérive des auteurs, c’est l’utilisation des données de l’OCDE sur l’équivalence de la subvention pour la production laitière au Canada. L’OCDE estime, selon un calcul théorique, que sans la gestion de l’offre, le prix du lait à la ferme au Canada serait un amalgame entre les prix mondiaux, en deçà du prix américain, soit un prix bien inférieur au coût de production du lait au Canada. L’OCDE estime que la différence entre le prix actuel que reçoivent les producteurs de lait canadien et ce prix fictif serait nécessairement transférée aux consommateurs. Les auteurs savent très bien que rien n’est moins vrai, mais ils colportent quand même ces affirmations ridicules et ils le font sciemment.
L’agriculture du Québec évolue dans le contexte nord américain et mondial. Le Québec ne contrôle pas ses frontières, ce qui limite grandement son autonomie et sa souveraineté alimentaire. Le Canada est responsable du commerce international et interprovincial.
Les fermes québécoises sont confrontées à une concurrence déloyale à bien des égards. Les fromages français, l’ail et le miel chinois, l’agneau de Nouvelle Zélande, les fraises et framboises de la Californie, les tomates du Mexique et je pourrais poursuivre la liste encore longtemps.
La pénurie de main-d’oeuvre, les adaptations aux changements climatiques, la consolidation et la concentration effarante des fournisseurs mondiaux de semences et autres intrants agricoles et la concentration des distributeurs alimentaires sont des enjeux avec lesquels le secteur bioalimentaire doit composer aujourd’hui.
Les changements géopolitiques en cours et le retour du protectionnisme aux États Unis et en Europe sont aussi très inquiétants.
Depuis 2008 les choses ont changées. Le Québec s’est doté d’une politique bioalimentaire et de cibles. Si le rapport Pronovost est l’étoile du Nord du Ministre André Lamontagne, la politique bioalimentaire qui réunit et met à contribution toute la filière agroalimentaire est sûrement son GPS. Ce sera utile car les routes à venir risquent d’être cahoteuses et le temps de diviser les forces est révolu.
Le problème justement est que les choses n’ont pas vraiment changé depuis le rapport Pronovost et mon rapport qui a suivi. S’il est vrai que certaines productions ont quitté l’ASRA, c’est que les producteurs de maïs-grain, soya et pommes de terre ont trouvé plus intéressant de souscrire à un programme de soutien auto-géré comme je le recommandait pour toutes les productions. Mais pour le reste, les choses se ressemblent. Que le maïs-grain soit mangé par des vaches ou des porcs ou encore qu’il serve à faire de l’éthanol, ça change peu de choses. L’essentiel de nos terres les plus fertiles n’est pas dirigé vers l’alimentation de notre population. On n’y trouve pas la diversité de productions qui rendrait le Québec plus autonome pour son alimentation. Ce qui n’a pas changé non plus c’est que 40% de notre territoire agricole n’est plus en exploitation . Marcel Groleau a mal lu. C’est le MAPAQ et l’État en général qui est mis en cause (et non l’UPA) pour son son manque de leadership et de courage. Vaut mieux lire le livre que la critique du livre. Laissons les lecteurs juger par eux-mêmes.