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Je lisais dans l’édition de La Presse du 8 août la chronique de Stéphanie Grammond intitulée « Ô Canada ! Terre d’oligopoles ». Elle y soulevait la concentration et le pouvoir que détiennent les géants, notamment dans le secteur alimentaire, et le peu de mordant de nos lois face à ce phénomène.
Le code de conduite négocié entre les fournisseurs et les détaillants alimentaires tend à corriger cette situation. Le pouvoir et les abus des grands détaillants sur les fournisseurs alimentaires sont dénoncés depuis longtemps. Durant mes années à la présidence de l’Union des producteurs agricoles (UPA), nous avions régulièrement des discussions sur le sujet avec les transformateurs alimentaires du Québec. Ceux-ci n’osaient pas dénoncer les pratiques des détaillants à leur endroit par crainte des conséquences. J’ai soulevé ces situations à quelques reprises, notamment en ce qui a trait aux frais imposés sans préavis et même parfois rétroactivement sur les livraisons par les détaillants.
Une histoire pavée de rebondissements
Le cas qui a fait balancer l’opinion publique et qui a attiré l’attention des médias fut la demande par l’UPA d’une enquête au Tribunal de la concurrence sur les agissements de Walmart concernant sa décision unilatérale de retenir sur la facture de ses fournisseurs, un pourcentage pour financer son virage de vente en ligne.
Bien sûr, l’enquête n’a pas permis de sanctionner Walmart, nos lois sur le sujet étant ce qu’elles sont. Mais le bruit autour de ce cas a rebondi jusqu’à l’Assemblée nationale du Québec. « Les producteurs agricoles du Québec contre Walmart. » « David contre Goliath, version 2020. » Tous, sans exception, ont dénoncé ce comportement abusif de Walmart.
Les pressions pour que le secteur se dote d’un code de conduite se sont accrues. Le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), représentant les grands détaillants, a finalement démontré une ouverture et des discussions ont débuté. En fait, les détaillants voulaient à tout prix éviter qu’un éventuel code de conduite ne soit appliqué que sur le territoire québécois.
Après trois ans de travail, les cinq grands détaillants alimentaires du Canada, soit Sobeys, Metro, Costco et finalement Loblaws et Walmart, ont accepté de se soumettre à un code de conduite. L’annonce officielle a été faite lors de la rencontre annuelle des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux de l’Agriculture en juillet dernier à Whitehorse.
La pression publique et politique : un catalyseur de changement
La pression publique et politique sur les détaillants a augmenté significativement depuis la pandémie. Elle aura sans doute suffi à faire fléchir les derniers récalcitrants, Loblaws et Walmart. Les bénéfices affichés des grandes bannières sont en croissance alors que les consommateurs souffrent de plus en plus de l’inflation du prix des aliments.
À l’instar de la Grande-Bretagne et de l’Australie, le Canada aura maintenant un code de conduite pour baliser les relations entre les fournisseurs et les détaillants alimentaires. Cependant, contrairement aux codes de ces deux pays, le code canadien ne sera pas enchâssé dans un règlement gouvernemental.
Le code établira des procédures claires et de la prévisibilité pour les fournisseurs et les détaillants. Les frais imposés par les détaillants devront être justifiés et négociés. Les fournisseurs auront aussi des obligations. On espère plus de respect et de transparence dans les relations d’affaires. En un mot, on cherche à introduire une culture de collaboration.
Plusieurs questions demeurent en suspens face au code de conduite
Certaines questions demeurent, car la taille des détaillants et leurs parts de marché les rendent incontournables. Les fournisseurs sont dans une relation vitale et très délicate avec les détaillants. Oseront-ils utiliser toutes les possibilités du code et aller jusqu’à recourir à l’arbitrage pour faire trancher un litige?
Actuellement, il n’y a pas de sanctions prévues au code si un membre ne l’applique pas ou ne le respecte pas. Est-ce que la bonne volonté sera suffisante? Le temps nous le dira, mais pour ma part, je demeure sceptique.
D’ailleurs, Sobeys annonçait récemment dans une note laconique que dorénavant, tous ses fournisseurs auraient des frais de 5% qui s’appliqueront pour les livraisons dites direct store delivery (DSD). Cette mesure touchera particulièrement les petits fournisseurs et transformateurs à qui ce type de frais ne s’appliquait pas jusqu’à maintenant.
La balle est maintenant dans la cour des détaillants, mais je dirais aussi dans la cour des gouvernements. Si un des détaillants principaux se retire, si le code n’est pas utilisé par peur des représailles ou si les recommandations à la suite du traitement d’un litige ne sont ni respectées ni appliquées, alors les gouvernements, à commencer par celui du Québec et imitant ceux de la Grande-Bretagne et de l’Australie, devront légiférer. Il en va du développement de notre filière agroalimentaire.
Marcel Groleau